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Jules Guiffrey.

Histoire de la tapisserie online

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lot's de la reunion d'Audenarde a la France, le metier ne comptait
plus que vingt-trois maitres. Pendant Toccupation frangaise, les
affaires reprirent un pen d'activite. Les fabricants avaient trouve
a Paris un debouche commercial qui leur ^tait precedemment
ferme; mais ce moment de prosperite dura pen. Le bombarde-
raent de 1084 porta le dernier coup a Tindustrie d'Audenarde,
comme nous le verrons bientOt.

Outre les tisseurs et les ouvriers employes a la preparation et
a la teinture des laines, la tapisserie faisait vivre un certain nombre
d'artistes qui se livraient presque exclusivement a la confection
des modeles. Alex. Pinchart a dresse la liste detaillee des peintres
employes par les tapissiers d' Audenarde. Dans le nombre figurent
Jean Snellinck, de Malines, fixe a Audenarde en 1607, et Simon
de Pape, peintre d'histoire, ne a Audenarde memo, dont la car-
riere s'etend de 1023 a 1077.

Tournai. — Vers la fin du xvi^ siecle, les habitants de Tournai
paraissent avoir completement abandonne la fabrication de la
tapisserie historiee de haute ou de basse lice pour celle des tapis de
table. En vain les magistrats s'efforcent-ils, par de frequentes com-
mandes, de fournir de Inoccupation aux derniers metiers existants,
Tindustrie de la haute lice decline de jour en jour. Toutefois elle re-
prendra un peu de vie, comme celle d'Audenarde, pendant Toccu-
pation des Pays-Bas par Ix)uis XIV, et vegetera jusqu'aux dernieres
ann^s du xviii^ siecle. A partir de 1700, des nombreux centres de
fabrication que les Flandres avaient possede au xvi^ siecle, il n'en sub-
siste plus que trois : ceux de Bruxelles, d' Audenarde etde Tournai.

Enghien. — Les causes de decadence deja signalees s'appliquent
egalement aux manufactures d'Enghien.



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280 HISTOIRE DE LA TAPISSERIE

C'est de cette ville que van der Biest part, en 1G04, avec trois
ou quatre compagnons, pour aller fonder Tatelier de Munich. Un
autre artisan d'Enghien, Jean Pzegre ou Seghers, meurt a Thdpital
de Maincy, pres Melun, en 1660. D'autres enfin quittent leur ville
natale de4638 a 1644, pour s'etablir a Bruxelles.

Louis Spinola, gouverneur d'une des provinces flamandes,
achete, en 1642, a Henri van der Cammen, marchand d'Enghien,
deux chambres de YHistoire d' Alexandre le Grand, payees 8 flo-
rins Taune, soit en tout 1,975 florins. Vers 1671, les magistrats
de Tournai cherchent a attirer, par Tappat de certains avantages,
un des derniers tapissiers d'Enghien, nomme Jean Oedins. Quatorze
ans plus tard, il ne restait plus qu'un seul tapissier dans la ville;
il se nommait Nicolas van den Leen. A la fin du xviF siecle, cette
lente agonie avait pris fin ; le dernier atelier d'Enghien etait ferme.

Ijes tapissiers parisiens, dans le pr&mbule des statuts imprimes
en 1718, parlent des manufactures d'Enghien avec un certain
dedain et jugent tres severement leurs ouvrages.

Tourcoing. — La ville de Tourcoing parait avoir possede des
tapissiers au xvii^ ou au xviii^ siecle. M. Houdoy a decrit une belle
piece representant une Fete champetre, signee : I^fevre — Tour-
coing.

Alost, — En 1611, le fait a deja ete signale, plusieurs tapis-
siers d'Audenarde offrent de transporter leurs metiers a Alost.
Leurs propositions sont favorablement accueillies. Ces maitres
s'appelaient Gills Roos ou Roose, Tobie de Ketele et Michel van
Glabeke. On n'en salt pas davantage sur la tentative faite pour
retablir Tindustrie de la tapisserie dans cette ville, qui avait possede
des ateliers des la fin du xv^ siecle. Guicciardini et van Mander
signalent cependant un fait digne d'etre note. Un peintre d'Alost,
nomme Pierre Coecke, ne en 1502, avait entrepris de lointains
voyages. II alia jusqu'a Constantinople, trouva chez le sultan un
accueil favorable, et executa pour lui des cartons de tapisserie que
des hauteliceurs bruxellois , nommes van der Moyen ou Dermoyen ,
ses compagnons de route, se chargerent de traduire en laine et en
sole.

Valenciennes. — Au xviF siecle, le magistrat de Valenciennes



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PREMIERE MOITIE DU XVIP SIECLE 281

a plusieurs fois recours aux tapissiers d'Audenarde. II ii'y avait
done pas dans la ville d'atelier de tapisserie. Cependant un certain
Pierre Regnier, demeurant a Valenciennes, livre deux tentures,
en 1643, au sieur d'Houdicourt, gouverneur de Landrecies; mais
ce Regnier n'etait probablement qu'un marchand ou un commis-
sionnaire.

Lille, — Vincent van Quickelberghe, d'Audenarde, vint cher-
cher fortune a Arras vers le commencement du xvii^ siecle. II ne
trouva pas dans cette ville les ressources qu'il esperait, et, en 1625,
nous le voyonS fixe a Lille. Le magistral lui accorde une pension
annuelle de 100 florins, a la condition qu'il enseignera son me-
tier a quatre enfants pauvres. Cette pension fut continuee aux fils
de Vincent, Jean et Emmanuel, venus a Lille a la suite de leur
pere. En 1637, Emmanuel van Quickelberghe part pour Mortlake,
tandis que son fr6re reste a la t6te de I'atelier fonde par le chef de
famille. La pension payee a ce dernier figure sur les comptes de la
ville jusqu'en 1641.

Vers la mfime epoque, c'est-a-dire en 1634, un autre tapissier
d'Audenarde, nomme Gaspard van Caeneghem, oflrait au corps
municipal de se fixer a Lille et d'instruire trois enfants pauvres,
a la condition d'etre exempts de toutes charges et de ne pas payer
de loyer. Cette experience fut de courte duree, car en 1639 van
Caeneghem avait quitte la ville.

En somme, pendant le cours du xvii« siecle, labrillante Indus-
trie qui avait fait la fortune et la gloire des Pays-Bas sous le
regne de Charles -Quint se montre en decadence dans tons les
centres flamands. Les tapissiers, ne trouvant plus Toccasion d'exer-
cer leurs talents dans leur patri6, sont reduits a se repandre dans
les pays environnants ou bien a chercher fortune au loin. Jamais
occasion aussi favorable ne s'est presentee pour enlever a cette labo-
rieuse contree un des plus beaux fleurons de sa couronne indus-
trielle. Henri IV a juge la situation avec le coup d'oeil du genie,
et nous allons assister a ses intelUgents efforts pour mettre la
France en ^tat de lutter avantageusement contre les provinces espa-
gnoles, et de conquerir, en fin de compte, la suprematie dans cette
branche speciale des arts somptuaires.



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282 HISTOIRE DE LA TAPISSERIE



FRANCE



Paris. — Alois qu*il n'etait que roi de Navarre, Henri IV,
comme nous Tavons vu, songeait a attirer dans ses Etats here-
ditaires les ouvriers flamands chasses par les persecutions reli-
gieuses; il avait espere doter le Beam d'un atelier de tapisseries
au metier. Le projet n'eut pas de suite. D'autres soins plus pres-
sants absorberent Tattention du roi. Mais, des qu'il fut monte sur
le trone de France et que la guerre civile lui laissa quelque repit ,
il ne perdit pas de temps pour mettre a execution des desseins
milris depuis de longues annees.

II s'adressa tout d'abord aux ouvriers indigenes, aux tapissiers
frangais. Sauval raconte que le roi, ayant ete voir a la Trinite,
en 1594, les tapisseries qui s'y faisaient sur les dessins de Leram-
bert, fut si content du travail de cet atelier, qu'il r^solut de retablir
a Paris les manufactures de tapisseries « que le desordre des regnes
precedents avoit abolies j>. Ce recit peche par deux endroits. Nous
avons constate, en effet, que les tapisseries de Saint- Merri furent
commandees en 1584 et non en 1594, et en outre que Henri IV
avait songe aux manufactures de tapisseries bien avant de monter
sur le trone de France.

(T Pour cela, poursuit Sauval, le roi manda a Fontainebleau du
Bourg avec Laurent, autre tapissier excellent; mais, comme du
Bourgfut vole dans la foret et qu'il ne put s*y rendre, le roi choisit
Tautre, qu'il etablit, en 1597, dans la maison professe des jesuites *,
ou personne ne demeuroit depuis le parricide de Jean Chatel , et avec
lui du Breuil, peintre fameux, et Tremblai, fort bon sculpteur. 11
(Laurent) etoit directeur de cette manufacture, a raison d'un ecu
par jour et 100 francs de gages, et, comme il avoit quatre appren-
tifs, leur pension fut taxee a 10 sols tons les jours pour chacun.
Quant aux compagnons qui travailloient sous lui , les uns gagnoient
25 sols, les autres 30, les autres 40. Avec le temps, du Bourg
lui fut associe, et la demeurerent jusqu'au rappel des jesuites; et,
pour lors, ils furent transferes dans les galleries. »

Nous avons reproduit le passage dans son entier, parce que

' Aujourd'hui occup6e par le Iyc6e Charlemaf?ne.



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PREMIERE MOITIE DU XVIF SIECLE 283

Sauval est le seul auteur qui ait parie de Tatelier temporaire de
la maison des jesuites. Sans lui on ignorerait jusqu'a Texistence
de cette manufacture, a laquelle on ne saurait encore attribucr
avec certitude une seule tapisserie. Comme il s'ecoula un certain
temps entre le retablissement des jesuites dans leur maison pro-
fesse et I'installation des artistes dans la grande galerie du Louvre,
c'est peut-etre durant cet intervaiie que nos deux tapissiers habi-
terent provisoirement la maison des Tournelles, ou furent montes
pendant quelques annees des metiers de haute lice sur lesquels les
renseignements font completement defaut.

Des 1607, Laurent et Dubout occupent, dans la galerie du
Louvre, les deux logements les plus rapproches des Tuileries,
dans le voisinage de Pierre Dupont, I'inventeur des tapis a la fagon
du Levant, le fondateur de la Savonnerie. En 1613, Laurent cede
le titre de tapissier du roi a son lils, qui continue a partager
avec Dubout ou ses heritiers Tatelier de la grande galerie jus-
qu'en 1650, et m6me apres cette date. L'atelier de haute lice du
lx)uvre, sur lequel on possede fort peu de details, ne disparait des
documents contemporains qu'en 1671. Les derniers occupants
avaient probablement ete transferes a la maison des Gobelins lors
de sa reorganisation par Colbert.

Rien n*est plus difficile que de determiner le contingent des difTe-
rents ateliers royaux pendant cette premiere partie du xvii^ siecle.
Les ouvriers flamands installes au faubourg Saint-Marcel, dans la
premiere manufacture des GobeUns, ont completement eclipse les
artisans frangais etablis dans le palais meme du roi. II existe ce-
pendant un temoignage contemporain d'une tres reelle valeur et
presentant toutes lesgaranties desirables d'authenticite, qui attribue
formellement a Tatelier des galeries deux pieces executees sur
les cartons de Simon Vouet. En effet, d'apres Tinventaire du mobi-
lier de la couronne, dresse sous le regne de Louis XIV, un Motse
sauvi des eaux, de cinq aunes de large sur quatre de haut, et une
Histoire de Jephti , de cinq aunes cinq sixiemes sur quatre, pro-
viendraient de Tatelier de Laurent et de Dubout.

I^a description minutieuse de ces tapisseries, insereedans Tinven-
taire royal que nous venons de publier, permettra peut-6tre de les
retrouver ou d'en decouvrir quelque fragment; on aurait ainsi une
base certaine pour attribuer aux m^mes artistes d'autres oeuvres
restfes anonymes. II n'est pas admissible qu*un atelier qui a vecu



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284 HISTOIRE DE LA TAPISSERIE

plus d'un demi-siecle n'ait pas laisse d'aulres temoignages de son
uctivite.

Sans doute , parmi les nombreuses pieces comprises dans Tinven-
taire de Louis XIV sous la denomination vague de tapisseries de
la fabrique de Paris, plusieurs appartiennent aux artisans de la
grande galerie; cela est d'autant plus vraisemblable que le redac-
teur signale avec grand soin I'origine des tentures sorties, soit
de la premiere fabrique des Gobelins, soit de la maison fondee
par les de la Planche. Celles qui portent la designation indeterminee
(le fabrique de Paris peuventdonc etre altribuees, avec beaucoup de
vraisemblance , a Tatelier des galeries du Louvre. Voici Fenumera-
tion sommaire des tapisseries ainsi classees. Cette liste, qui n'a
jusqu'ici ete donnee nulle part, comj)rend douze tentures de laine
et de soie rehaussees d'or et d'argent :

IjIIistoire d^ArUmise, d'apres Lerambert. Quatre suites difie-
rentes, une en quinze, une autre en huit, et deux en sept pieces.

Deux tentures de VHistoire de Constantin, d'apres Rubens, en
huit et en quatre pieces.

Vllisloire de Coriolan, d'apres Lerambert, en dix-sept pieces.

Deux series de Vllisloire de Renaxul et Armide, sur les dessins
de Vouet, en huit et en six pieces.

VHistoire de Diane, dapres Toussaint Dubreuil, huit pieces.

JiCs Actes des apotres, d'apres Raphael, sept pieces.

Les Mois, de Lucas, en six sujets.

Voici maintenant les tentures en laine et soie, sans or :

Trois suites d'Artcmise, dessin deCaron, en onze, huit et trois
panneaux.

Une Histoire de Renaiid et Armide, en sept pieces.

Les Rots de France, deux suites, de neuf pieces chacune, exe-
cutees sur les dessins de Laurent Guyot.

Les Chasses de Frangois fi^, d'apres le meme, en huit compo-
sitions. II existe encore des fragments de cet ensemble dans des
collections privees.

Le Pastor Fido, dessins de Guyot et de Dumay, en vingt-six sujets.

U Histoire de Pomp^e, huit pieces.

La Fahle d'ActSon, on le Cerf hnmain , en dix pieces.

Six Paysages de Fouquieres.

Six dessus de porte de Vouet.



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PREMIERE MOITIE DU XVIP SIEGLE 287

Si les vingt-quatre tentures qui viennent d'etre enumerees, com-
posant un total de deux cent dix-sept tapisseries, ne sorteiit pas
toutes des galeries du Louvre, cet atelier peut en revendiquer au
moins une bonne partie. Plusieurs de ces suites existent encore,
en tout ou en parlie, dans les magJisins du mobilier national. En
etudiant avec soin leurs caracteres particuliers , leurs marques, leur
execution, on arriverait sans doute a fixer la question delicate de
leur origine.

Les modeles d'un certain nombre de ces tapisseries avaient ete
fournis, comme on vient de le constater, par les peintres ordinaires
du roi: Henri Lerambert, Laurent Guyot, Antoine Garon, Guillaume
Dumee. La difficult^ que les tapissiers flamands eprouvaient a se
procurer de bons modeles n'avait pu echapper a la vigilante solli-
citude du roi de France; aussi avait-il pris des precautions pour
que ses proteges fussent pourvus de dessins appropries a leur des-
tination. A cet effet, un des peintres du roi, en titre d'office, fut
specialement charge du soin d*approvisionner les ateliers parisiens.

Henri Lerambert occupa le premier la charge de « peintre pour
les tapisseries du roi ». On lui doit, ainsi qu'on Ta vu, les cartons
de la tenture de Saint-Merri; il executa, avec Antoine Garon, les
modules deVIIistoired'Art^mise. Apres samort(1609), un concours
fut ouvert entre les peintres pr^tendant a sa succession. On proposa
comme sujet de concours les scenes du Pastor fido, Un certain
nombre d'artistes en reputation prirent part a la lutte. Le brevet,
en date du 2 Janvier 1610, qui constate la victoire de Laurent
Guyot et de Guillaume Dumee, cite encore Gabriel Honnet et de
Hery. La tenture du Pastor fido figure dans Tinventaire des tapis-
siers du roi; on a vu qu'elle ne comptait pas moins de vingt-six
pieces , attribuees indistinctement a Guyot et a Dumee. La meme
collection renfermait aussi une suite des Rois de France, de Guyot;
malheureusement cette suite parait aujourd'hui perdue. Felibien
attribue au mfime artiste VHistoire de Coriolan, dont Tinventaire
de Louis XIV fait honneur a Lerambert.

Une serie dont Tattribution ne donne lieu a aucune incertitude
est rhistoire de Gombaut et de Mac^e, immortalisee par un passage
de Mohere. II est demontre aujourd'hui que Tauteur des sujets avait
emprunte la donnee et les scenes de cette idylle champfitre a des
compositions du xv^ siecle, dont nous avons signale recemment
une traduction gravee sur bois sous le regne des derniers Valois.



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288 HISTOIRE DE LA TAPISSERIE

Nous reproduisons ici rieux des scenes les plus convenables decette
liistoire, qui prouve souveiit, par ses details scabreux, que nos peres
ne redoutaient pas les faceties un peu graveleuses. Laurent Guyot
ne fit que rajeunir un theme vieux de plus d'un siecle, et lui pro-
cura ainsi un regain de succes qui dura de longues annees. On a
suppose, en effet, que si Moliere avait cite la tenture de Gombaul
et de Macee, c'est qu'il devait en posseder quelque panneau dans
son mobilier. Les recherches d'Eudore Soulie ont prouve qu'il
n'en etait rien. I^ passage de YAvare s'explique tout naturelle-
ment par ce fait aujourd'hui acquis que Thistoire de Gombaut,
ayant joui d'une veritable popularite, avait ete reproduite a un
gi'and nombre d'exemplaires. Moliere a done pu la rencontrer sou-
vent dans ses longues peregrinations a travers la province.

Les modeles de Guyot furent copies d'abord dans une des fa-
briques royales pour lesquelles Tartiste travaillait ordinairement.
Cette suite, tres finement tissue, avec une large bordure, et dont
les chiens places aux angles inferieurs rappellent certains details
des gravures reproduites ici, figure dans Tinventaire general du
mobilier de la couronne sous Louis XIV. Le musee des Gobelins
a recemment acquis une piece de cette tenture, avec la marque
de Paris, la lettre P suivie d'une fleur de lis; c'est certainement
une ^pave de I'ancienne suite du mobilier royal.

Mais la plupart des tapisseries inspirees par les cartons de Guyot
et que nous avons ^te a mfime d'examiner, soit a Thdtel Carna-
valet, soit au musee de Saint-L6, soit dans des collections parti-
culieres, sont d'une execution bien interieure a celle dont nous
venons de parler. On pent les attribuer, avec toute probability,
aux ateliers d'Aubusson et de Felletin. II existe mSme quelques mor-
ceaux d'un grain assez grossier, prouvant que la popularity de cette
histoire avait amene les fabricants a en executer des exemplaires pour
les bourses les plus modestes. Ainsi la derniere scene de la suite
gravee, representant la Mort fauchant les pauvres paysans fugitifs,
manque aux series les plus completes. Nous n'en n'avons rencontre
qu'une seule traduction en tapisserie; elle appartient a M. Paul
Marmottan, le proprietaire de V Histoire de Susanne, dont il a et^
parle plus haut.

Le succes des Amours de Gombaut et de Macie ne s'est pas
arrets aux frontieres de la France. Une piece qui porte la marque de
Bruxelles represente une des scenes les plus fr^quemment repro-



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PREMIERE MOITIE DU XVIP SIECLE 291

duites, avec des l^gendes en frangais qui different sensiblement
du texte ordinaire. Cette tapisserie, dont nous avons publie une
photogravure dans la monographie consacree a Thistoire de cette
tenlure, appartient a M. Braquenid. On trouvera ici la marque de
tapissier tissee dans la lisifere a c6te des deux B indiquant I'origine
bruxelloise.

Pour en linir avec cette curieuse manifestation de Tart popu-
laire, remarquons que certains sujets ont joui d'une faveur parti-
culiere; ainsi la Danse autour d'un arbre, les Fiangailles et la Noce,
se rencontrent a un bien plus grand nombre d'exemplaires que les



ioi




Marqne d'nne pidoe des Amoun de OombaMt el de Mac^, Marqne d'one tapiaeerie d'hennU luUant ctmire AnHt.
Appftrtenant k M . Braqneni^. Apputenant k M. Braqaeal6.



autres scenes.' Ces pieces ^taient destinees a la vente courante, les
sujets agreables trouvant naturellement plus d'amateurs.

Parmi les peintres qui travaillerent pour les tapissiers sous le r^gne
de Louis XIII et la minorite de Louis XIV, Felibien cite, apres Dum^e
et Guyot, Simon Vouet, appele de Rome, en 1627, pour prendre
la direction des tapisseries du roi; Michel Gorneille, son ^16ve; le
paysagiste Fouquieres, Toussaint Dubreuil, qui composa une His-
toire de Diane dont il existe encore des fragments au mobilier na-
tional; le p6rede Martin Freminet, Jean Gotelle, Juste d'Egmont,
Patel, van Boucle, Bellange, d'autres encore.

II est juste de signaler a part les trois plus grands maitres de
Tecole frangaise sous le regne de Louis XIII. Lesueur, Poussin et
Philippe de Ghampagne donn^rent, euxaussi, des modeles aux tapis-
siers, soit de la galerie du Louvre, soit de la maison des GobeUns.
A Lesueur on doit YHisloire de saint Gervais et de saint Protais,
destinfe a Teglise parisienne de Saint-Gervais. A vrai dire, une
seule composition avait ete terminee par le peintre des Ghartreux ;
une autre fut peinte par son beau-frere, sur ses dessins ; les
quatre demiers sujets sont dus a Philippe de Ghampagne et a
Sebastien Bourdon. Ges tapisseries n'ont ete conservees jusqu'a nous
que pour devenir, en ces derniers temps, Tobjet d'un march^
funeste, et pourrentrer, apres un long et retentissant proces et de



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292 HISTOIRE DE LA TAPISSERIE

lamentables mutilations qui les ont privees de leurs bordures,
dans les magasins de la ville de Paris. Quand on voit de pareils
actes de vandalisme accomplis de notre temps, sous nos yeux,
est-on bien fonde a jeter Tanath^me aux destructeurs incons-
cienls et fanatiques du temps passe? Eux, du moins, avaient Texcuse
de rignorance.

Philippe de Champagne avait encore retrace, en quatorze com-
positions, les scenes de la Vie de la Vierge; ces tapisseries firent
longtemps Tornement de Teglise cathedrale de Paris. Commandees
et ofTertes par Michel le Masle , chantre-chanoine et ancien secre-
taire du cardinal de Richelieu, elles ne couterent pas moins de
42,000 livres. 11 est facheux que les historiens a qui nous devons
ces details aient omis de nous apprendre de quel atelier sor-
taient la Vie de la Vierge deNotre-Dame et les tapisseries de Saint-
Gervais. lis disent seulement qu*elles avaient ete executees a Paris.

Sur les modeles du Poussin a regne jusqu'ici une certaine incer-
titude. Cependant le passage de Felibien qui les concerne est des
plus categoriques. Des son arrivee a Paris, dit Thistorien des mai-
sons royales, — cette arrivee date du mois de mars 1641, — c il
se mit a travaiiler a la Gene destinee a Tautel de la chapelle de
Saint- Germain, et a faire des dessins pour des tapisseries que
M. de la Planche, tresorier des batiments, lui proposa de la part
de M. des Noyei's... > Or de la Planche dirigeait a cette epoque
rimportante manufacture de la rue de la Chaise, dont nous parle-
rons bient6t. II est done tres probable que le Poussin a collabore
aux tapisseries executees au faubourg Saint- Germain. L'inventaire
general dresse sous Louis XIV lui attribue formellement trois suites
de YHistoire de Moise, en dix ou onze pieces, tissfes dans la pre-
miere maison des Gobelins. Mais, tandis que le peintre a pu sur-
veiller et diriger lui-meme Texecution du Moise, il strait reste
compl6tement etranger a celle des Sacrements, mise sur le metier,
aux Gobelins, vers 1G92, suivant M. Lacordaire.

La collaboration du paysagiste Fouquieres aux verdures qui
s'executerent sous le regne de Louis XIII est attestee egalement par
rinventaire des tapisseries de Louis XIV. Aussi pent- on affirmer
que tous les peintres du roi, tons les artistes en reputation
pendant la premiere moiti^ du xvii^ siecle, prirent une part plus
ou moins active aux travaux des manufactures royales de ta-
pisseries. Cette collaboration contribua singulierement a relever le



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PREMlfeRE MOITlfi DU XVIP SiftCLE 293

niveau de Tart decoratif en France, tandis que tout le genie de
Rubens parvenait a peine a retarder de quelques annfes la deca-
dence de Tindustrie bruxelloise.

C'est seulement depuis peu de temps que les recherches des ^ru-
dits sont parvenues a determiner avec certitude les oeuvres de cette
periode mal connue jusqu'ici. On a constate tout recemment que
les specimens de cette renaissance de Tindustrie textile en France
presentaient une fraicheur, une originalite , un charme , une entente
des conditions de Tart decoratif, qui se rencontrent bien rarement
par la suite. II est telle bordure, comme celle de V Abraham con-
duisant Isaac au sacrifice, qui, a Taide des precedes les plus
simples, n'employant que des ornements et des figures en camaieu
gris sur fonds saumon^, produit reflfet le plus riche et le plus
harmonieux. D'ailleurs, a cette epoque, les auteurs des cartons
donnent avec raison une importance considerable aux encadre-
ments; ils se montrent aussi tres heureusement inspires dans le
choix des elements de la bordure. Les tapisseries datant des r6gnes
de Henri IV et de Louis XIII sont particulierement int^ressantes a
etudier a ce point de vue.

Jamais roi de France ne s'etait preoccupe au mSme degre que



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