artisans de haute lice qui emigrent dans les pays etrangers a
Tepoque dont nous parlous, se disent originaires de Bruges.
La corporation des tapissiers brugeois ne regut une organisation
propre qu'en 1506.
On a donne plus haut Tenumeration des riches tentures expo-
sees lors du mariage de Charles le Temeraire, cel^bre a Bruges
en 1568. Mais nous avons fait remarquer que ces precieuses tapis-
series provenaient, pour la plupart, des ateliers d'Arras ou de
Tournai.
Lille. — Les premiers tapissiers qu'on rencontre a Lille sont
originaires d'Arras. Le plus ancien qui regoit le droit de bour-
geoisie en 1398 s'appelait Robert Pousson, fils de Henri. (Voyez
ci-dessus, p. 39.) Puis paraissent Simon et Jean Lamoury en 1401
et 1404, Nicolas des Gr6s en 1406, Jean de Ransart en 1407.
Deux autres artisans, nommes en 1412, etaient venus de Paris. En
somme, le d^pouillement des anciennes archives de Lille n'a fourni
qu'un petit nombre de noms pour le xv^ siecle, et tous les rensei-
gnements se bornent a de simples mentions de tapissiers. On ne
trouve pas Tindication d'une seule pi6ce sortie des ateliers lillois.
La haute lice alia toujours en degenerant au xvi^ siecle, et finit
par fitre presque complfetement supplantee par la sayetterie.
Ypres. — A Ypres, on ne rencontre pas un seul hautehceur dans
tout le cours du moyen age. II est a noter toutefois que Francois
van der Wichtere, d'Ypres, dessinait, en 1419, les cartons des
tapis armories de haute lice destines a la halle des echevins ; mais
on s*adressait pour Texecution des tentures a Jean de Fevere,
d'Arras.
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LA TAPISSERIE AU W^ SIECLE 93
Plusieurs autres peintres d'Ypres ont fourni des cartons de tapis-
serie jusqu'au milieu du xvi^ siecle; mais, de tapissier proprement
dit, aucune mention.
Amiens et Cambrai. — Un liauteliceur, nomme Jacques Char-
pentier, parait a Amiens en 1430; un autre, appele Etienne Le-
clerc, travaillea Cambrai, en 1440, a un tapis decore des armes du
roide France. Noel de Bery repare, en 1460, des tentures appar-
tenant a la ville de Cambrai.
Audenarde. — On ignore la date exacte de Tintroduction de la
tapisserie a Audenarde. On la fait remonter a la premiere moitie
du xvc siecle. Des I'annee 1441, les travailleurs ^taient assez
nombreux pour former une corpomtion. lis venaient pour la plu-
part de Tournai. En 1456, les maitres du metier et leurs apprentis
se reunissent dans une confrerie placee sous Tinvocation de sainte
Genevieve. Malgre Timportance que Tindustrie avait prise a Aude-
narde des le xvc siecle, on ne rencontre, dans les anciens docu-
ments, que la mention insigniliante de tapisseries louees pour
Tentree des grands personnages. Ce n'est qu a partir du xvp siecle
que des faits plus precis permettent de suivre le developpement
de la haute lice dans ce centre de production, un des plus impor-
tants de la Flandre.
Bruxelles. — De meme pour Bruxelles ; on a pretendu que cette
ville avait possede des ateliers des le xiv^ siecle, mais sans donner
aucune preuve a Tappui de cette opinion. L'inventaire de Philippe
le Bon, dresse en 1420, cite plusieurs tapisseries de Brabant, mais
il ne precise pas le Heu d'origine. En 1448 seulement, les tapissiers
se separent des tisserands, auxquels ils avaient ete reunis jusque-
la. Leurs statuts portent la date de 1451. Deja ils etaient assez
riches pour posseder sur la grande place une maison a Tenseigne
de YArbre d'or, qui fut plus tard la Maison des Brasseurs. Leur
confrerie avait un autel a Notre-Dame de Sablon.
Le plus ancien tapissier bruxellois dont le nom ait ete conserve
est Jean de Haze ou de Rave, qui travaillait de 1460 a 1470. Son
atelier jouissait d'une bonne reputation, car le due de Bourgogne
lui achete, en 1466, huit pieces decorees de ses armoiries tissees
en or, pour la somme de 2,131 livres. La m^me ann^e, Philippe
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94 HISTOIRE DE LA TAPISSERIE
le Bon s'adressait encore a Jean de Haze pour lui demander une
tapisserie de VHistoire d'Annibal ne mesurant pas moins de cinq
cent sept aunes ; elle fut offerte au pape Paul III.
Un peintre du merite le plus eminent, qui travaillait a Bruxelles au
milieu du xv© siecle, parait avoir exerce sur le developpement de
rindustrie de la haute lice une influence considerable. On doit a
M. Wauters cette curieuse observation que Rogier van der Weyden
avait sa demeure tout a cote de la maison ou se faisaient la verifi-
cation et le plombage des tapisseries.
N'y eOt-il la qu'une coincidence toute fortuite, elle serait au
moins singuliere. De plus, Carel van Mander dit avoir vu a Bruges
plusieurs toiles sur lesquelles etaient representees, de la main du
celebre artiste, de grandes figures peintes a la colle ou au blanc
d'oeuf. Ces toiles, ajoute Thistorien de la peinture, servaient a
garnir les salles comme des tapisseries. Ce passage a sou vent ete
invoque pour prouver que Rogier avait dessin^ des cartons de
tapisseries. C*est peut-etre tirer d'un fait exact une interpreta-
tion excessive. II sagit simplement ici, nous semble-t-il, de
veritables toiles peintes, comme celles de Reims, fort em-
ployees la fin du xv^ siecle dans la decoration des eglises ou des
chateaux.
On a attribue a notre artiste, sans plus de certitude, les modeles
de certaines tentures conservees a Madrid. Ce qui semble certain,
c'est que la fameuse tapisserie de Berne, qui passe pour avoir ap-
partenu a Charles le Temeraire et represente la Justice de Trajan
et VHistoire d'Herkinbald, offve la reproduction fidele de pein-
tures celebres de Rogier van der Weyden, autrefois placees a Tho-
tel de ville de Bruxelles.
Gand. — Des Tannee 4453, la ville de Gand, puissante entre
les vieilles cites flamandes par le nombre et Torganisation de ses
metiers, possedait une corporation de tapissiers de haute lice. Le
registre des receptions, allant de 1461 a 1496, a ete conserve. II ne
contient qu'une seche enumeration de noms propres. Les tentures,
sorties des ateliers de Gand , soit au xv*' siecle , soit m6me sous le
regne de Charles -Quint, paraissent n'avoir jamais joui d'une grande
reputation. Elles consistaient surtout en verdures. En 1478, Pierre
van Boxelaere, de Gand, livre au magistrat du Franc de Bruges
une petite tapisserie decoree d'un ecusson aux armes de France.
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LA TAPISSERIE AU XV'' SIECLE 95
Middelbourg, — L*histoire de Middelbourg en Flandre affre
une particularite singuliere. Cette ville fut fondee, en 1465, sur des
terrains dependant de Tancienne abbaye du meme nom en Zelande,
par Pierre Bladelin, seigneur de la cour de Philippe le Bon, fort
en faveur aupres de son maltre. Pour attirer les habitants et favo-
riser le developpement de la naissante cit^, Bladelin y etablit une
foire franehe. Aussi vit-on les citoyens de Dinan y affluer apr6s
le si6ge et le sac de leur ville natale, en 4466. G*est a ce moment
que la haute lice fait son apparition a Middelbourg, dont les tapis-
siers regurent les encouragements du due de Bourgogne.
Charles le T^meraire achate, en 1470, une verdure de six pieces
a Brice le Bacquere, au prix de 21 sous Taune; une autre verdure
de trente-cinq aunes a Melchior le Wede. Ces deux artisans, fixes
a Middelbourg, etaient probablement originaires de Tournai.
L'inventaire des meubles et tapisseries du chateau de Middel-
bourg, dresse en 1477, apres la mort du successeur de Bladelin,
^numere de nombreuses pieces de tapisserie : dans le nombre
figurent plusieurs verdures qu'on pent attribuer aux ateliers de la
ville. La prosperite de cette fabrique dura peu. Les guerres qui
ensanglanterent la Flandre pendant les regnes de Maximilien d'Au-
triche et de Philippe le Beau entrainerent probablement sa mine.
Mons, Alost, — On a constate la presence de metiers de haute
lice a Mons et a Alost vers la fin du xv^ siecle, sans que cette
Industrie ait jamais jete de profondes racines dans ces deux villes.
La corporation des tapissiers d' Alost, etablie en 1496, prolongea
son existence jusqu'au xvii^ siecle.
Enghien, — La ville d'Enghien faisait partie des domaines de
rillustre maison de Luxembourg. Ses tapissiers acquirent une cer-
taine reputation. Enghien figurait parmi les centres les plus impor-
tants de fabrication sous Charles -Quint. L'etablissement des me-
tiers de haute Uce remonte au xv^ siecle. En 1479, un tapissier de
la ville, Etienne van der Bruggen, vend six cents aunes de tapisse-
rie, du prix de4601ivres, pourlecompte de Tarchiduc d'Autriche.
Philippe de Cleves, epoux de Frangoise de Luxembourg et sei-
gneur d'Enghien, acheta dans cette ville, en 1504, une serie de ten-
tures dont le prix fut pay^ en partie par les magistrats municipaux.
Une tapisserie de huit metres de large, portant les armes de ce
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96 HISTOIRE DE LA TAPISSERIE
seigneur et repr^sentant le Roi Modus et la reine Ratio ac-
compagnes de leur cour, est conservee a Thdtel d'Arenberg, a
BruxelJes.
La prosperite des ateliers d'Enghien date du'xvp sitele; des sta-
tu ts lui furent octroyes par Philippe de Cleves en 4513. Vingt ans
plus tard , la corporation etait assez nombreuse et assez riche pour
faire les frais d*une teinturerie a son usage.
Lyon. — Malgre TextrSme penurie de renseignements sur cette
epoque ancienne et TinsufTisance des recherches, on a constate
I'existence d'un certain nombre d'ouvriers de haute lice disse-
mines sur les differents points de la France au xv^ siecle. M. Na-
talis Rondot a pu faire remonter leur itablissement a Lyon a
Fannee 1358. Un depouillement syslematique des archives a tire
de Toubli les noms de plusieurs tapissiers lyonnais du xv« siecle.
Ces artisans occupaient un certain rang dans la bourgeoisie lo-
cale, car ils figurent parmi les citoyens qui payent Timpdt le plus
eleve. Jean Cret^, qui vivait vers 1480, tenait une des premieres
places parmi les hauteliceurs lyonnais.
Perpignan et Troyes, — La tapisserie parait a Perpignan en 1411,
a Troyes eu 1425. On a retrouve tout recemment un marche,
portant la date du 26 septembre 1411, par lequel un hauteliceur,
fixe a Perpignan, s'engageait a tisser pour un seigneur du Rous-
sillon une piece reprfeentant sainte Catherine. II s'appelait Pierre
Le Fort.
Nous avons parte plus haut du curieux marchd conclu avec
Thibault Clement pour Texecution d'une tapisserie de la vie de
sainte Madeleine, destinee a I'eghse de ce nom, a Troyes.
Nicolas Farein, tapissier de la mSme ville, est charge de reparer
les tentures de T^glise Saint- Pierre.
Avignon, Reims, Montpellier. — Un tapissier de Toumai,
nomme Jean Hosemant, est ^tabh a Avignon en 1430.
Un autre tapissier, dont Torigine est inconnue, travaille a Reims
en 1457. II s'appelait CoUn Colin.
L'annee suivante, deux ouvriers signales par Jules Renouvier,
Georges de Vaulx et Jean Muret , etaient occupes k Montpellier a
des ouvrages destines a T^glise Notre -Dame.
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LA TAPISSERIE AU XV*^ SlfeCLE 97
Vitr^, Rennes, — Le dernier due de Bretagne, Francois II,
installe, en 1476 et 4477, des tapissiers de haute lice a Vitre et a
Rennes. L'historien de la province auquel est due la connaissance
de ce fait n'entre dans aucun detail sur ces manufactures, qui
n'eurent probablement qu'une existence assez courte.
Avrbusson et Felletin, — On s'accorde generalement a faire re-
monter au moyen age rorganisation des premiers ateliers d'Au-
busson et de Felletin. De longues recherches n'ont rien produit
de positif sur les origines de ces manufactures. La legende attri-
buant la creation des premiers metiers a des Sarrasins fugitifs,
apres la bataille de Poitiers, ne repose sur rien.
Une autre tradition paraitrait plus acceptable. Louis de Clermont,
fils de Robert, comte de Bourbon, et de Beatrix, dame de Bourbon,
avait epous^ Marguerite , fiUe de Jean d'Avesnes, comte de Hainaut,
et de Philippe de Luxembourg. De la des rapports frequents,
intimes, entre la maison de Bourbon et les grandes families de la
Flandre et des pays voisins. Louis de Clermont joignit a son patri-
moine hereditaire le comt^ de la Marche, cede par le roi Charles
le Bel. D autres alliances ayant resserre les liens qui unissaient
cette famille aux princes flamands, on suppose quele comte Louis,
apr6s avoir pu constater la prosperite des villes du Nord , aurait
fait tons ses efforts pour provoquer une Emigration de tisserands
dans ses nouveaux Etats. Comme le comte de la Marche est un
pays pauvre, montagneux, dont la terrepeut difficilement nourrir
ses habitants, il Etait fort avantageux pour une con tree aussi mi-
serable de posseder une Industrie quelque peu r^numeratrice.
Malheureusement toutes ces conjectures, fort sEduisantes sans
doute , n'ont etE confirmees jusqu'ici par aucun document. Les m^
tiers de tapisserie, il est vrai, sont en pleine activity dans la Marche
au commencement du xvp siecle; mais on ignore absolument a
quelle Epoque d^butent les plus anciens artisans de la province.
Le premier texte ou notre industrie soit clairement visee est Tin-
ventaire des biens de Charlotte d'Albret, duchesse de Valentinois,
la veuve de Cesar Borgia. Ce document, qui date des premieres
ann^es du xvi^ siecle, enumere plus de soixante pieces de tapis-
serie de Felletin, a feuillages et betes, ou a bandes, c'est-a-dire ap-
partenant toutes a la famille des verdures. Si Ton trouve, dans un
seul inventaire, une aussi grande masse de tentures sorties d'un
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98 HISTOIRE DE LA TAPISSERIE
atelier dont il n'est parl^ nulle part jusque-la, il faut necessai-
remeht supposer que la fabrication y avait deja pris un serieux
developpement. Quant aux tapissiers d'Aubusson, il n'en est pas
fait mention dans Tinventaire de la duchesse de Valentinois, ce
qui laisse supposer que la ville de Felletin avait devance sa rivale
dans cette voie. II semble resulter de certains indices, recueillis
dans des textes d'une ^poque bien posterieure a Tan 1500, que
les artisans de Felletin employerent de tout temps le metier de basse
lice, et ex^cuterent exclusivement des tapisseries dites a la marche,
du nom de la pedale servant a separer les fils de chaine. Mais on
ne connait jusqu'ici aucun specimen certain de la fabrication mar-
choise durant cette periode primitive, anterieure au xvi^ si^cle.
Nous verrons plus loin que les tapisseries de Boussac , aujourd'hui
conservees au mus^ de Cluny, ont ete attribuees aux vieux ateliers
du centre de la France, sans qu'on ait jamais produit un argu-
ment d^cisif a Tappui de cette opinion.
On trouvei*a peut-etre que c'est beaucoup insister sur des details
de mediocre importance; mais, comme des decouvertes recentes
ont revele Texistence de nombreux ateliers en Italie pendant le
cours du xvc siecle, il importait de faire remarquer qu'avant d'aller
chercher de Touvrage a T^tranger, les artisans du nord de la
France avaient fonde dans leur pays des etablissements assez nom-
breux pour repondre a tons les besoins. D'ailleurs, ces ateliers de
ritalie se distinguent de ceux des provinces frangaises par des dif-
ferences capitales. lis se recrutent presque exclusivement parmi les
artisans etrangers. De tout temps, les manufactures stabiles a
grands frais a Florence, a Rome ou a Ferrare, ont compte fort peu
d'ouvriers italiens, tandis que les ateliers du Nord n'ont jamais
eu recours aux etrangers. Nous avons expliqud les raisons qui
faisaient de la haute lice, pour les peuples septentrionaux , une In-
dustrie de premiere necessite, tandis que les habitants des pays
chauds ne Tont jamais consid^r^e que comme un article de luxe.
G'est ainsi que la tapisserie s'est toujours trouv^e en quelque sorte
depaysee dans les provinces italiennes.
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LA TAPISSERIE AU XV^ SifeCLE 99
ITALIE
D6s le xiv<5 siScle, les tapisseries de haute lice sont tr6s recher-
chees en Italie ; mais pendant longtemps les princes de la p^nin-
sule n'eurent d'autre ressource, quand ils voulurent s'en procu-
rer, que de les faire venir des provinces frangaises. Nous avons vu
le comte de Savoie, Am^ee VI, s'adresser a Nicolas Bataille. On
a d'autres exemples caracteristiques de ce goiit pour la tapisserie.
Au xv^ si^cle, plusieurs princes italiens songerent a affranchir
leurs Etats du tribut paye auparavant a Tindustrie septentrio-
nale. lis attirerent des ouvriers en leur promettant certains avan-
tages et en s'engageant en quelque sorte a pourvoir a tons leurs
besoins. Mais tandis que, dans les villes du Nord, les ateliers de
haute lice, puissamment organises, v^cui'ent longtemps de leurs
propres ressources et d'un travail libre, parce que leurs ouvrages
repondaient a un besoin general, les manufactures italiennes n'eu-
rent jamais qu'une existence pr^caire, dependant du caprice ou de la
vie du prince qui les avait fondees, comme on Ta fait remarquer plus
haut. D'ailleurs les Italiens, voulant appliquer les lois de la fresque
a une Industrie qui ne convenait ni a leurs moeurs ni a leur climat,
bouleverserent les regies rationnelles qui prfeidaient auparavant a
la decoration des tapisseries.
lis parvinrent a imposer leurs modules &ux artisans flamands;
mais Us pr^cipit^rent ainsi la decadence de Tindustrie, qu'ils
d^tournfirent de sa veritable voie.
D'autres causes contribu6rent encore a rinf^riorit^ bien marqu^
des ateliers de la p^ninsule. L'el^ment essentiel de la tapisserie est
la laine. On arrive, par le melange des fils d'or et de sole, a don-
ner au tissu un grand eclat ; mais jamais on n'a tent^ de substituer
compl6tement Tor ou la soie a la laine. Or les habitants des pays
meridionaux, en employant exclusivement la laine, eussent expose
leurs ouvrages a une prompte destruction , tandis que la soie d^fie
les attaques des vers. En outre, la soie est un produit naturel des pays
chauds, tandis que les ouvriers du Nord sont obliges de la faire
venir a grands frais. On a cite assez d'exemples de tapisseries fla-
mandes m^lang^s de soie, pour ne rien laisser subsister d'une opi-
nion ancienne soutenant que la pr&ence de cette matiere dans une
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100 HISTOIRE DE LA TAPISSERIE
tapisserie ^quivaut a une marque italienne. Toutefois il est certain
que la soie fut , pour la confection des tentures comme pour celle
des vetements, bien plus employee dans le Midi que dans le Nord.
Les Italiens avaient le privilege et Thabitude d'un mode de deco-
ration que rhumidit^ du climat interdit aux peuples septentrionaux.
La fresque est assuree chez eux d'une longue duree, tandis qu'elle
ne resisterait pas longtemps aux brouillards et aux pluies de notre
climat. II etait done bien facile aux petits potentats de la peninsule
d'embellir leurs residences de decorations magnifiques dans Texe-
cution desquelles leurs artistes excellaient, tandis que des princes
puissants et riches, possedant de nombreux chateaux, comme les
rois de France ou les dues de Bourgogne, auraient sacrifie de
grosses sommes en pure perte a couvrir de peintures les murailles
de leurs habitations. lis aimaient mieux emporter dans leurs in-
cessantes peregrinations leurs tentures de predilection , qui etaient
pour eux autant un objet de premiere necessite qu'un ornement.
Aussitdt la cour partie, les tapisseries etaient envoyees dans sa nou-
velle residence ou pli^es dans les coffres etbahuts, et les murailles
depouillees reprenaient leur glaciale rigidite. L'economie et le bien-
6tre des habitants trouvaient egalement leur compte a cet usage.
Ces considerations diverses expliquent la difficult^ que les princes
italiens ont rencontree de tout temps, autrefois comme aujourd'hui,
a acclimater dans leur pays Fart de la tapisserie. Mais pour une
volonte tenace et pers^verante il n'y a pas d'obslacle insurmon-
table. L'exemple des ateliers italiens de haute lice en fournit une
preuve remarquable.
Mantoue, — C'est a Mantoue qu'apparait d'abord Tindustrie de
la tapisserie. En 4400, Francois de Gonzague possedait une col-
lection de plus de cinquante pieces; ce chiffre prouve le goilt tres
vif de ce prince pour les riches tissus qu'il avait dii faire venir de
Flandre a grands frais.
Des 1419, un tapissier, qui porte dans les textes le nom de Jean
(le France, etait inslalle a la cour des Gonzague; il executait certains
travauxpour le pape Martin V. Jean de France dirigea longtemps,
et probablement jusqu'a sa mort, Tatelier de Mantoue. II se mariait
dans cette ville en 1432; on ne perd sa trace que dix ans plus tard.
Un certain Nicolas de France suivit de pres son compatriote; il ar-
rive en 1420 pour disparaitre presque aussitot. Ces tapissiers execu-
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LA TAPISSERIE AU XV^ SlfiCLE 101
terent pour les souverains de Mantoue des tapis de bancs ou
banquiers, des armoiries et des paysages. On connait les noms
de plusieurs de leurs coUaborateurs ; deux d'entre eux etaient aussi
venus du Nord ; les autres sont probablement leurs Aleves.
Lalongue domination de Louis de Gonzague (1444-1478) marque
Tapogee de cet atelier. Ce prince, admirateur passionne des tentures
llamandes, prend a son service, en 1449, un des maitres les plus
fameux du temps, Rinaldo Boteram , deBruxelles, Tintroducteur de
la haute lice a Sienne, et le charge de plusieurs achats importants
dans la Flandre. Le tapissier le plus estim^ de la cour de Mantoue
etait, apres Boteram, Rubichetto, dontle traitement mensuel s'ele-
vait a 46 livres 10 sous, tandis que ses coUaborateurs, presque
tons Bruxellois d'origine, ne recevaient que 9 livres par mois. Le
nombre des ouvriers italiens reste toujours minime.
Un des plus grands maitres de la renaissance italienne, Andrea
Mantegna, avait accepte la tache de fournir des modules aux ta-
pissiers de Louis de Gonzague. Les details sur les oeuvres sorties
de cette illustre collaboration font completement defaut. On sait
seulement que les tentures des souverains de Mantoue jouissaient
d'une grande c^lebrite au xvi^ siecle. Les fameux cartons d'Hamp-
ton Court, ces Triomphes de Jules Cesar developpfe en longues frises
qui rappellent les antiques bas-reliefs, sont generalement consi-
deres comme des modeles dessines pour Tatelier mantouan.
Apres Louis de Gonzague commence la decadence de Tatelier que
le nom de Mantegna suffirait a illustrer d'une gloire imperissable.
Venise, — La ville de Venise etait surtout un entrepdt de toutes
les marchandises du monde. Les marchands y apportaient pour
les mettre en vente des etofies ou tentures de toute provenance qui
allaient ensuite decorer les palais pontificaux ou princiers.
En 1421, deux tapissiers du Nord, Jehan de Bruges et Valentin
d'Arras, etablissent un atelier a Venise; leur entreprise dure
pen.
Ainsi en est-il de beaucoup de ces ateliers italiens dont des ar-
chives presque intactes ont permis de constater, en ces derniers
temps, Texistence. Souvent deux ou trois artisans composent tout
leur personnel. 11 en est dont tons les ouvriers se recrutent dans
la m6me famille. Aussitot la besogne commandee, faite et hvree,
ils plient bagage et vont chercher fortune ailleurs. A peu d'ex-
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102 HISTOIRE DE LA TAPISSERIE
ceptions prfes, c'est Thistoire de toutes les manufactures meridio-
nales. Seulement les Italiens, toujours fort habiles a faire valoir
leurs talents, ont su mettre en relief les moindres details de ces
tentatives ephemeres.
N'oublions pas une Histoire de saint ThSodore, dont les cartons
auraient ete executes, en 1450, par un artiste v^nitien , le peintre
Alvise.
' Ferrare. — A Ferrare, dont I'atelier a vecu plus d'un siecleet a
produit des oeuvres d'un caract^re tr6s particulier, la tapisserie ne
fait son apparition qu'en 1436. Les premiers artisans dont on ren-
contre les noms sont encore des Flamands : Jacomo de Flandria
de Angelo, en 1436, et Pietro di Andrea (fils d'Andr^), aussi de
Flandre, en 1441. Bientdt d'autres noms viennent se joindre aux
precedents. Rinaldo Boteram, qui avait commence ses peregrina-
tions a Sienne en 1438, passe quelques mois a la cour d'Este
en 1445, avant de se rendre a Mantoue. Pierre, fils d'Andr^, arrive
en 1441, conserva la direction des travaux jusqu'en 1471.
Une grande activite r6gne dans Tatelier de Ferrare sous le regne
de Borso d*Este (1450-1471). Presque tons les ouvriers qui y sont
employes arrivent de France ou d* Arras. Deux Tournaisiens , Jean
Mille et Rinaldo Grue, sont appeles, en 1464, pour former des
ouvriers dans le pays ; mais les Italiens se montrent rebelles a leur
enseignement, et cette ecole de tapisserie ne donne pas de r&ul-
tats bien satisfaisants.
Parmi les maitres qui balancent la reputation de Pierre, fils
d'Andr^, Lievin occupe une des premieres places. 11 est charge de